Fukushima, trois ans après : le bilan

Trois ans après l’accident de Fukushima, où en est-on sur place ? Comment la décontamination avance-t-elle ? Quels sont les risques qui perdurent sur la centrale ? Quelles leçons tire-t-on en France de la catastrophe ? Reporterre fait le point complet.

Fukushima-www;clairejannot.comLe 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 se produit au large des côtes nord-est du Japon. C’est le plus violent tremblement de terre enregistré dans l’histoire du Japon. La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, l’une des vingt-cinq plus grandes centrales au monde, est située à 145 km de l’épicentre. Sur les six réacteurs, seules les trois premières tranches sont alors en service. Automatiquement, les réacteurs 1, 2 et 3 se mettent à l’arrêt.

Quelques minutes plus tard, un tsunami engendré par le séisme ravage les côtes orientales d’Honshū, la plus grande île de l’archipel japonaise, sur laquelle se trouve Fukushima. Les groupes électrogènes de secours tombent en panne et provoquent la perte totale du système de refroidissement des réacteurs nucléaires. Les crayons des combustibles surchauffent puis fondent à l’intérieur de la cuve de confinement : c’est la fusion des cœurs des réacteurs, qui perce la cuve et entraîne de multiples rejets radioactifs.

L’état d’urgence nucléaire est déclaré par le gouvernement japonais, et plusieurs centaines de milliers de personnes dans un rayon de 30 km sont évacuées. D’abord classé au niveau 4 puis au niveau 5, l’accident est finalement reclassé un mois plus tard au niveau 7, niveau le plus élevé de l’échelle internationale des événements nucléaires (INES). C’est, vingt-cinq après Tchernobyl, la deuxième plus grave catastrophe nucléaire de l’histoire.

Alors que le Japon était le troisième pays producteur d’électricité nucléaire dans le monde avant la catastrophe, sa production est aujourd’hui nulle. Les 48 autres réacteurs qui constituent son parc sont tous à l’arrêt. Sur les 17 demandes d’autorisation de redémarrage, certaines ont déjà été retoquées et la perspective de voir des centrales japonaises fonctionner de nouveau prochainement reste incertaine.

En 2014, le Japon continue de vivre au rythme de Fukushima. Si 70 % de la population se déclare toujours hostile au nucléaire, Corinne Morel Darleux note toutefois unecertaine résignation face au sujet de la transition énergétique. Dans un récent article, David Boilley, président de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (ACRO,) qui suit quotidiennement l’actualité de Fukushima, relate néanmoins qu’« il ne s’est pas encore passé un jour sans que la presse japonaise ne parle de l’accident nucléaire et de ses conséquences. Peu de sujets de société peuvent se targuer d’un tel impact ».

Les conséquences sont nombreuses. Humainement, le bilan est difficile à établir mais s’alourdit sans aucun doute. Selon David Boilley, « les dernières statistiques sur les cancers de la thyroïde chez les enfants inquiètent ». Par ailleurs, d’après la Croix-Rouge, il y aurait aujourd’hui plus de morts liés aux conditions d’évacuation qu’en conséquence directe du tsunami, dans la province de Fukushima. Les alentours restent toujours inhabités dans un rayon de 20 km – avec une pointe à 45 km vers le nord-ouest suite à des taux de contamination plus importants. Les 300 000 réfugiés que l’on recense encore actuellement, dont près d’un tiers vit dans des logements préfabriqués, posent la question de la décontamination autour de Fukushima.

Outre la gestion sauvage des déchets et le non-respect des mesures de sécurité, les travaux de décontamination font face à la mainmise de la mafia japonaise. Plus grande structure de crime organisé au monde, les Yakusas profitent du retard pris par les autorités japonaises sur les opérations de décontamination pour récupérer un certain nombre de marchés. Face à la pénurie de main d’œuvre, l’agence Reuters a révélé il y a quelques jours le système mis en place par la mafia japonaise pour recruter au marché noir des SDF afin d’effectuer les travaux de décontamination.

Dans une économie japonaise amorphe et particulièrement endettée, l’Etat aide Tepco, au bord de la faillite, à gérer l’indemnisation des victimes, pour un coût global estimé à 35 milliards d’euros. Si le coût global de la gestion d’accident est impossible à déterminer à l’heure actuelle, l’exploitant, qui avait été nationalisé en juin 2012, est engagé dans des opérations de très grande ampleur sur le site même de la centrale.

Sur la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, les travaux se concentrent aujourd’hui sur trois problématiques principales.

● L’évacuation des combustibles de la piscine du réacteur 4

Contacté par Reporterre, Thierry Charles, directeur adjoint de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, estime que cela constitue la « priorité des priorités ». Car, dans ce cube en béton de 11 mètres de profondeur situé à 30 mètres au-dessus du sol, à ciel ouvert, reposent les barres de combustibles déchargées du cœur du réacteur pour maintenance à la fin de l’année 2010. C’est dans cette piscine de désactivation que les combustibles sont les plus nombreux et les plus chauds. Or, la structure est fragile et reste endommagée par l’explosion d’hydrogène intervenue quatre jours après le tsunami. Si une nouvelle secousse venait à se produire, vidant le bassin de désactivation ou pis, le faisant s’écrouler, la catastrophe serait sans précédent dans l’histoire de l’humanité . Les opérations de retrait de ce combustible ont commencé le 18 novembre dernier et ont permis de retirer plus de 300 assemblages sur les 1535 officiellement présents.

● La gestion des eaux contaminées

Le besoin de refroidissement est quotidien et représente environ 350 m3 par jour sur les tranches 1,2 et 3. Or, les cuves de ces réacteurs étant percées, les eaux de refroidissement contaminées s’écoulent dans le reste des enceintes, non étanches. On estime qu’il y a près de 100 000 m3 d’eau contaminée dans les fonds de bâtiment aujourd’hui, en contact direct avec la nappe phréatique sous-jacente. Pour limiter l’impact, environ 400 m3 d’eau contaminée sont pompés chaque jour et stockés dans des cuves qui en font 1000 m3. « On va vite arriver à saturation, puisqu’il y a déjà 400 000 m3 stockés aujourd’hui sur la centrale. Ils ont déjà été obligés de raser les forêts et le bois sur le site pour y entreposer les cuves », estime David Boilley. En attendant, la contamination de l’océan continue, via la nappe phréatique polluée.

● Refroidir les cœurs des réacteurs

A plus long-terme, il s’agit de refroidir les coeurs des réacteurs entrés en fusion dans les tranches 1, 2 et 3. L’enjeu est colossal selon Thierry Charles : « Le combustible a fondu et s’est répandu partout dans les cuves, mais on ne sait dans quelles proportions. Mais pour l’heure aucun être humain ne peut s’aventurer dans ces zones car les irradiations sont mortelles. Ce sont des opérations inédites, qui ne pourront être réalisé qu’avec des machines robotisées qui iront directement rechercher les morceaux de combustibles pour les mettre dans des conteneurs de déchets. Cela va prendre beaucoup de temps, car ces techniques n’ont jamais été expérimentées ». Ces opérations, qui ne sont pas prévues avant 2020 le temps que les combustibles fondus aient été refroidi suffisamment – devraient prendre au minimum trente ans. « Le césium perd la moitié de son activité en trente ans… La fin de ces travaux n’est pas prévue avant 2050 » estime Thierry Charles.

Quelles leçons tirer ?

« Il faudra dix ans pour tirer tous les enseignements d’une telle catastrophe. Mais il y a d’ores et déjà deux niveaux d’actions essentiels sur lesquels nous avons travaillé en France, suite à Fukushima. Le premier consiste à prendre en compte des événements extrêmes qui pourrait aller au-delà de ce qui est prévu actuellement. Il faut donc anticiper en renforçant la sûreté avec un nouveau filet de sécurité. Le deuxième aspect concerne la gestion de crise. Il faut pouvoir mieux répondre à l’urgence, en cas de catastrophe », explique Thierry Charles.

Après Fukushima, l’Union européenne a imposé des stress test aux 143 réacteurs de son territoire. Ils donnent lieu en France à des  » évaluations complémentaires de sûreté » . Concernant la prévention, l’IRSN a récemment demandé à EDF de compléter le dispositif de son « noyau dur », cet ensemble réduit d’équipement visant à garantir la robustesse des installations et le maintien d’un système de refroidissement. Quant à la gestion de crise, le gouvernement a publié en février un plan national intitulé « Accident nucléaire ou radiologique majeur » qui vise à compléter les systèmes existants à l’échelle locale de PPI (Plans Particuliers d’Intervention).

Une des leçons fondamentales de Fukushima réside dans cette prise de conscience et ce changement de discours : « Jusque-là, on ne considérait pas Tchernobyl comme une catastrophe nucléaire, mais comme une catastrophe soviétique. Fukushima a fait entrer l’idée de la possibilité d’accident dans le logiciel commun. Cela a été un choc pour les autorités, pour qui la défaillance technique n’était pas concevable », résume David Boilley.

En attendant, tout le monde s’accorde sur un point : la catastrophe de Fukushima ne fait que commencer. « Depuis trois ans, il y a eu beaucoup de travail de fait, mais il en reste un énorme à faire. On n’en est qu’au début, c’est un travail de bénédictin qui s’inscrit dans le temps long. Et le plus dur, c’est demain » affirme le représentant de l’IRSN. Denis Baupin le confiait hier à Reporterre : Une catastrophe nucléaire ne finit jamais. Le problème est là, selon David Boilley : « Les autorités nucléaires rêvent encore d’une catastrophe réversible ».

Source : Reporterre -Barnabé Binctin
Crédit photo : http://www.pieuvre.ca
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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