Maïs OGM : des failles dans le système d’homologation

L’histoire pourrait n’être qu’anecdotique mais, à la suite de l’affaire Volkswagen, elle met à nouveau au premier plan les limites des procédures européennes d’évaluation des risques technologiques. Plusieurs maïs transgéniques, commercialisés par l’agrochimiste suisse Syngenta et autorisés à l’importation en Europe depuis plusieurs années pour l’alimentation humaine et animale, sont porteurs de modifications génétiques ne correspondant pas à celles fournies par le fabricant aux autorités européennes, lors du processus d’autorisation. Aucun risque sanitaire n’a pour l’heure été identifié du fait de ces erreurs mais l’affaire jette une lumière inquiétante sur le sérieux des contrôles européens des OGM.

Test de maïs OGM, Bourgouin-Jallieu, Isère, France.

Test de maïs OGM, Bourgouin-Jallieu, Isère, France.

Le 20 juillet, la société basée à Bâle (Suisse) a adressé une lettre à la Commission européenne, portant à son attention « une mise à jour des séquences génétiques des événements MIR604 et GA21 ». « Cette mise à jour, poursuit le courrier, décrit des divergences avec les séquences originellement communiquées » aux autorités européennes, et en particulier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), chargée de l’évaluation des risques avant l’autorisation de mise sur le marché.

La firme de biotechnologies Syngenta ajoute que les divergences notées entre les transformations génétiques effectivement apportées aux plantes et celles fournies aux autorités européennes « n’ont pas d’implications pour la santé humaine et animale, ou l’évaluation déjà conduite du risque environnemental », selon des documents adressés au Monde par le biais du serveur sécurisé et anonyme « Source sûre ».

La modification génétique MIR604 induit, pour la plante porteuse de ce trait, la capacité à produire une toxine luttant contre la chrysomèle, l’un des grands ravageurs du maïs ; quant au GA21, il confère à la plante une tolérance au glyphosate – l’herbicide le plus utilisé au monde –, et facilite ainsi son utilisation. Au total, ces deux événements, qui ne correspondent pas à ceux évalués par les autorités sanitaires, sont présents, seuls ou « empilés » avec d’autres modifications, dans six maïs autorisés à l’importation en Europe entre 2008 et 2011.

« Les données confirment des différences entre les deux séquences génétiques des produits testés par rapport à celles fournies dans les dossiers d’homologation originels », confirme-t-on à Bruxelles. Cependant, ajoute-t-on en substance à la Commission, les erreurs ne sont pas suffisamment importantes pour rendre caducs les tests de détection validés au moment de l’autorisation. Ce qui signifie que les instruments techniques à la disposition des Etats membres pour détecter et contrôler ces plantes sont toujours efficaces, en dépit des erreurs découvertes.

Saisie début août par Bruxelles, l’EFSA a examiné les séquences génétiques réellement introduites. Le 8 octobre, l’agence basée à Parme (Italie) a rendu son avis sur le MIR604 « réel », estimant que l’erreur de l’agrochimiste ne change pas l’évaluation du risque précédemment menée. De fait, l’erreur ne porte que sur une seule paire de bases (une seule « lettre ») d’une région non-codante de la séquence insérée. L’affaire semble plus délicate pour le GA21. « Le groupe d’experts de l’EFSA sur les OGM ne conclura qu’à la fin d’octobre 2015, car des données supplémentaires ont été demandées à Syngenta », explique-t-on à la Commission.

Pour bénignes que peuvent être les deux erreurs de l’agrochimiste, elles ont conduit à ce que des plantes transgéniques soient commercialisées, plusieurs années durant, sans que les modifications génétiques soient identiques à celles des dossiers d’homologation fournis par le fabricant. « Cette situation est due à la manière dont le risque est évalué, en se fondant essentiellement sur les données fournies par l’industriel lui-même », estime Christophe Noisette, chargé de mission à Inf’OGM, une association de veille critique sur les biotechnologies.

Ce n’est pas tout. Début octobre, Syngenta a abandonné ses demandes d’autorisation de mise en culture de deux maïs transgéniques, l’un porteur de l’événement MIR604, l’autre du MIR604, du GA21 et du Bt11. Dans une lettre lapidaire à la Commission, datée du 7 octobre, la société retire ses deux demandes sans explications. Aucun lien, dit Syngenta, avec les erreurs récemment découvertes. « La décision du retrait a été prise dans le cadre de la réévaluation du potentiel commercial de ces produits en Europe », précise un porte-parole de la société suisse.

Le dossier avait été déposé en 2010. Or non seulement l’EFSA a demandé, en août, des informations complémentaires à Syngenta pour poursuivre l’examen du dossier, mais une majorité d’Etats membres de l’Union ont de surcroît fait savoir qu’ils n’autoriseraient pas la culture de plantes transgéniques sur leurs territoires.

 

« Il faut peut-être voir aussi cette décision comme le début d’un désinvestissement des industriels de la transgenèse pour se tourner vers d’autres techniques de génie génétique, analyse Christophe Noisette. La mutagenèse par exemple, permet d’obtenir des plantes aux propriétés semblables, comme par exemple la tolérance à des herbicides, qui ne sont pas soumises au même régime juridique. » Ces plantes, déjà largement cultivées sur le territoire français, sont souvent qualifiées d’« OGM cachés » par les opposants aux biotechnologies. La Commission européenne consulte les Etats membres pour définir leur statut d’ici à la fin de l’année.

Source : LE MONDE – 14.10.2015 Par Stéphane Foucart
Crédit photo : I, Yann [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/) ou CC BY-SA 2.5-2.0-1.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5-2.0-1.0)], via Wikimedia Commons

 

 

 

 

 

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