L’herbier, une histoire vivante de la diversité

Le nez dans les herbes folles, le botaniste examine à la loupe une « Viola lutea », avant de la glisser délicatement dans du papier journal pour la faire sécher. S’ils peuvent paraître un brin désuets, les herbiers constituent toujours aujourd’hui de précieux outils d’étude de la biodiversité.

L’Herbier Marie-Victorin est situé dans les locaux du Centre sur la biodiversité de l'Université de Montréal adjacent au complexe principal du Jardin botanique de Montréal. Développé par le frère Marie-Victorin à partir de 1920

L’Herbier Marie-Victorin (Montréal) regroupant plus de 634 000 spécimens rassemblés par le frère Marie-Victorin entre 1903 et 1944

Au pied du Puy-de-Dôme, au coeur des volcans d’Auvergne, le conservateur des Herbiers universitaires de Clermont-Ferrand Gilles Thébaud répertorie tous les cinquante centimètres les plantes présentes sur plusieurs tronçons d’une clairière fleurie de gentianes et de pensées sauvages. 
« On est un peu comme des archéologues qui étudient le patrimoine menacé par un chantier. On collecte des espèces qui sont fragiles, dont on sait qu’elles seront détruites lors de l’extension de carrières ou, comme dans ce secteur, par l’introduction du pastoralisme », résume le conservateur auvergnat, missionné par le Parc naturel régional des volcans d’Auvergne pour effectuer un diagnostic de la flore locale.
Une plongée dans le monde végétal bien loin de l’image collée à ces scientifiques chargés de veiller sur de vieux spécimens au charme suranné.
Aux Herbiers universitaires d’Auvergne, près de 580.000 planches – dont les plus anciennes datent de la Révolution française – et 700.000 spécimens récoltés aux quatre coins du monde sont conservés dans des centaines de vieux casiers en bois.
« On passe pour une science ringarde », regrette Gilles Thébaud. « Mais les herbiers, ce ne sont pas uniquement des objets de musées, ce sont des mines d’informations scientifiques vivantes et essentielles pour connaître l’évolution de la biodiversité », assure le conservateur auvergnat, à la tête de la troisième plus grande collection universitaire de France. Depuis quelques années, les naturalistes ont rebattu les cartes en matière de systématique (classification des espèces), à l’aune des progrès de la biologie moléculaire.
La dessiccation des plantes préservant leur ADN, le séquençage génétique est venu affiner les connaissances en la matière, au point parfois de bousculer certaines classifications bien établies. Renfermant des banques de données génétiques encore exploitables, les herbiers sont particulièrement prisés pour certaines recherches en pharmacologie, cosmétique ou allergologie.
En outre, les collections naturalistes apportent désormais des éléments nouveaux sur l’impact du réchauffement climatique. « Des plantes que l’on pouvait récolter au 19e siècle à la base du Puy-de-Dôme, on les retrouve aujourd’hui à son sommet (à 1.465 mètres d’altitude). Elles ont en fait suivi l’évolution de la température et migré pour retrouver un biotope (milieu) plus favorable », illustre Arnaud Delcoigne, ingénieur de recherche au sein des Herbiers clermontois.
« Les herbiers, ce sont 450 ans d’archivage de la biodiversité« , abonde à son tour Marc Pignal, botaniste au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, citant une étude sur le dosage du carbone 13 dans les plantes, qui a permis de « mettre en évidence le début de l’utilisation des énergies fossiles, dans les années 1850 ».
« C’est très important d’avoir des données aussi vieilles car elles nous permettent véritablement d’envisager l’avenir », ajoute celui qui dirige la plateforme Recolnat, chargée de numériser près de 2 millions de plantes renfermées dans les herbiers français d’ici à 2019, en vue de leur valorisation.
Les échantillons, dont l’attachage sur des planches s’effectue en grande partie à Clermont-Ferrand (avant leur numérisation à Montpellier), seront ainsi visibles sur Internet par des chercheurs du monde entier. 
« On découvre sans cesse des nouvelles espèces ou sous-espèces et l’on continue de collecter des échantillons « types » (de référence). La numérisation, ça nous permettra de dire à un chercheur qui est à l’autre bout du monde: J’ai cette plante ici et vous pouvez venir la chercher », souligne encore Arnaud Delcoigne.
De quoi dépoussiérer définitivement une science qui n’a pas fini de reverdir.

Source : CEYSSAT (France) -24 juil 2016 (AFP)
Crédit photo : Par Letartean (Travail personnel) [CC0], via Wikimedia Commons 

 

 

 

 

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