Le Japon reprend la chasse à la baleine, une bonne nouvelle ?

Pour Lamya Essemlali, présidente de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, paradoxalement, la reprise de la chasse commerciale à la baleine par le Japon est “une avancée”. Elle nous explique pourquoi.

Baleine à bosse et son petit ( Polynésie Française )

Le Japon a décidé de se retirer de la Commission baleinière internationale (CBI) pour reprendre la chasse commerciale à la baleine. Pourquoi n’est-ce pas une si mauvaise nouvelle selon vous ?

Lamya Essemlali – Parce que le Japon ne “reprend” pas la chasse à la baleine : il ne l’a jamais arrêtée. Simplement il s’appuyait sur l’alibi scientifique depuis des années pour justifier cette chasse, jusque dans le sanctuaire antarctique [une faille juridique du moratoire autorisait la pêche à des fins scientifiques, ndlr]. En quittant la CBI, il perd cet alibi, en cela c’est une bonne nouvelle. De plus, le Japon avait une influence énorme au sein de la CBI, où il a bloqué des projets de sanctuaires, comme celui proposé en Atlantique-sud. Chaque année, il versait des pots de vin à des pays qui n’ont pour certains jamais chassé la baleine, afin qu’ils votent contre la reconduction du moratoire sur la pêche commerciale [interdite depuis 1982, ndlr]. Cela fait des années que le Japon milite au sein de la CBI pour faire tomber celui-ci. En sortant de cet organisme [créé en 1946 pour réguler la population mondiale de cétacés, ndlr], il perd donc cette influence. Un des travers de la CBI est que jusqu’à présent elle ne prenait en compte que les baleines, et pas les petits cétacés. Elle exclut donc tous les dauphins, en grande partie à cause du lobbying du Japon. On espère donc que les choses vont évoluer dans le bon sens, maintenant que le Japon s’en est retiré, et qu’on va enfin inclure les petits cétacés.

Le Japon ne pourra plus désormais pratiquer cette chasse que dans ses eaux territoriales, et plus en Antarctique. Est-ce que cela réduit ses capacités d’action ?

Complètement. S’il tenait tellement à chasser dans le sanctuaire antarctique, c’est parce que c’est une zone très riche en baleines. Au départ il s’était auto-attribué un quota de 1035 baleines par an, qui est tombé à 333 du fait notamment des actions de Sea Shepherd. A chaque fois qu’ils partaient en Antarctique, ils faisaient un strike. Désormais ils seront limités à leurs eaux territoriales, où il y aura forcément moins de baleines. Leur chasse n’aura pas l’ampleur industrielle qu’elle avait pris avec la flotte baleinière qui partait en Antarctique, qui était axée autour d’un gigantesque navire-usine. Celui-ci est d’ailleurs en fin de vie, et le Japon était en train d’envisager la construction d’un tout nouveau navire-usine. Cela n’est plus d’actualité désormais. Evidemment nous ne sommes pas complètement satisfaits, car ils continueront à chasser les baleines. Mais c’est une avancée positive de savoir qu’aujourd’hui les trois derniers pays qui chassent encore des baleines [l’Islande, la Norvège et le Japon, ndlr]sont contraints et limités à leurs eaux territoriales.

Vous pensez qu’on avance tout de même vers une sanctuarisation plus grande des océans ?

Malheureusement nous en sommes loin, mais on va avoir un vrai sanctuaire antarctique pour les baleines désormais, et ça c’est essentiel. Il faut le reconnaître, tout en ayant bien conscience que la donne ne change pas. On était dans une hypocrisie énorme : le Japon n’a jamais cessé la chasse commerciale. Depuis l’entrée en vigueur du moratoire, on a toujours retrouvé de la viande de baleine sur les marchés et dans les restaurants japonais – y compris des baleines qui n’étaient même pas censées être ciblées par le Japon. On a ainsi retrouvé de l’ADN d’orques ou de baleines bleues, en danger critique d’extinction, qui sont complètement interdites à la chasse. Le masque scientifique tombe : le Japon rejoint le camp des deux dernières nations qui traquent encore des baleines à des fins commerciales. Au moins les choses sont claires.

En 2017 Sea Shepherd a décidé d’arrêter ses missions anti-chasse baleinière en Antarctique, car elles avaient un coût trop élevé. Cette limitation aux eaux territoriales change-t-elle la donne du point de vue de la défense des cétacés ?

Dans les eaux territoriales il est compliqué d’intervenir en raison de la juridiction, et parce qu’en général ils ont des navires militaires assez bien équipés qui nous attendent. On avait fait une incursion en Norvège il y a quelques temps, et cela avait été assez musclé. Mais on va surveiller de très près ce que va faire le Japon, et notamment s’il se limite ou pas à ses eaux territoriales.

Le Japon justifie cette reprise par le fait que certaines espèces se portent très bien, et ne sont pas menacées. Est-ce vraiment le cas ?

Cela dépend des espèces. Il y en a qui sont plus ou moins en phase de rétablissement, après des siècles de chasse intensive. Si on prend l’exemple extrême de la baleine bleue, on en a exterminé 99%, et pourtant on a encore retrouvé son ADN sur les marchés japonais. Ils se moquent du statut de l’espèce. De plus, ce sont des animaux très vulnérables à de multiples facteurs, comme la pollution plastique et sonore, qui sont des menaces nouvelles, la raréfaction de la nourriture à cause de la surpêche, ou encore les captures accidentelles dans les filets : 300 000 mammifères marins en sont morts cette année. Elles se reproduisent aussi très lentement, et ne peuvent pas être tués de façon rapide. C’est toujours une boucherie innommable : il faut entre 25 minutes et une heure pour tuer une baleine. On ne pourrait justifier ce genre de pratique dans aucun abattoir. Il n’y a plus rien aujourd’hui qui peut justifier qu’on tue des baleines. Il y a des alternatives beaucoup plus écologiques et beaucoup plus économiques à tous les usages qu’on peut en faire.

Avec l’Islande et la Norvège, le Japon sera donc le troisième pays à pratiquer ouvertement cette chasse. Est-ce que cette coutume recule tout de même dans ces pays, malgré le poids de la tradition ?

L’argument de la tradition est invalide. La tradition, c’est ce qu’on a l’habitude de faire depuis longtemps. Ce n’est pas pour autant que c’est éthique, louable ou justifié. En plus de cela, c’est un faux argument, car en Islande comme en Norvège, seulement 2% de la population mange de la viande de baleine. C’est un marché qui se maintient beaucoup à cause du tourisme. C’est particulièrement le cas en Islande, où les touristes veulent manger un “plat traditionnel islandais”, alors que les Islandais ne mangent plus de baleine. Les touristes consomment donc de la viande de baleine au restaurant. Mais malgré cela, cette activité n’est absolument pas rentable. Au Japon elle complètement sous perfusion de subventions du gouvernement. En Islande, c’est une entreprise, Hvalur Hf, qui en a fait une affaire personnelle. Un multi-millionnaire, l’homme le plus riche d’Islande, est à sa tête, et il se permet de chasser les baleines car il a une fortune énorme qui lui permet de financer cette activité à perte. Économiquement parlant ça n’a plus aucun sens. Écologiquement et éthiquement, n’en parlons même pas.

Propos recueillis par Mathieu Dejean pour les Inrockuptibles ( décembre 2018 )

Source : https://www.lesinrocks.com/2018/12/29/actualite/pourquoi-la-reprise-de-la-chasse-la-baleine-au-japon-nest-pas-une-si-mauvaise-nouvelle-111155330/
Crédit photo : Par © Jérémie Silvestro / Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=59393959

 

 

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