Critiquée pour son recours intensif aux antibiotiques, l’industrie chilienne du saumon, deuxième plus importante au monde, a décidé cette semaine de réagir pour enrayer cette pratique, qui pollue l’environnement et pourrait créer de nouvelles maladies.
Le projet, baptisé Pincoy – l’esprit masculin des mers selon la mythologie locale – associe producteurs, groupes pharmaceutiques et spécialistes de la nourriture pour poissons.
« L’industrie chilienne est convaincue qu’il faut prendre des mesures concrètes de collaboration pour réduire drastiquement l’usage des antibiotiques », explique le communiqué conjoint annonçant le lancement du programme.
Le pays sud-américain est en effet montré du doigt par les défenseurs de l’environnement: « Nous utilisons au Chili 500 fois plus d’antibiotiques qu’en Norvège », premier producteur mondial, s’alarmait récemment, dans un entretien à l’AFP, Liesbeth van der Meer, directrice par intérim du groupe écologiste Oceana-Chili.
En juin, cette organisation a obtenu une victoire importante devant la justice, qui a forcé à rendre publics la quantité et le type d’antibiotiques administrés aux saumons chiliens.
Le résultat est sans appel: en 2015, 557,2 tonnes de médicaments ont été injectés dans la production totale, de 846.163 tonnes, soit un taux d’antibiotiques de 0,066%, selon le Service national de la pêche et de l’aquaculture (Sernapesca).
En 2010, le taux était deux fois moindre, à 0,031%, soit 143,2 tonnes de traitement sur une population de 466.857 tonnes.
Le projet Pincoy, auquel participent des groupes comme Skretting, AquaGen/Blue Genomics, Pharmaq, Centrovet, Cermaq, Blumar et Ventisqueros, misera notamment sur « la reproduction sélective », des régimes adaptés, des vaccins, « une sélection attentive des jeunes saumons » entre autres pratiques pour avoir moins besoin de médicaments.
L’idée est d’avoir « une perspective globale avec des aspects de prévention, mais aussi (en abordant) les facteurs génétiques et les aliments renforçant la santé des poissons », explique Alicia Gallardo, sous-directrice de la branche aquaculture de Sernapesca.
Si le saumon chilien a tant besoin d’antibiotiques actuellement, c’est pour lutter contre la bactérie Piscirickettsia salmonis, dangereuse pour ce poisson élevé dans les eaux du sud du pays où il a été introduit artificiellement il y a des décennies.
En 2015, la bactérie, qui cause le Syndrome Rickettsial septicémique (SRS), a été responsable de 78,9% de la mortalité par maladie ou usage de médicaments chez les saumons chiliens.
Pour l’instant, les vaccins et thérapies se sont montrés peu efficaces face au SRS.
« Il n’existe pas de solution unique pour faire face aux épidémies de SRS et en fait, la menace de cette maladie sera toujours présente », reconnaît Ronald Barlow, directeur général la filiale chilienne du groupe néerlandais Skretting.
Mais le traitement donné aux poissons finit par se diffuser dans l’environnement, risquant de contaminer la communauté bactérienne autour des élevages et de créer une résistance aux antibiotiques.
Pour les organisations écologistes, le danger est de donner ensuite naissance à des super-bactéries, capables de provoquer des maladies incurables.
Avec un chiffre d’affaires annuel de 3,5 milliards de dollars, l’élevage de saumons est l’une des principales sources de travail dans de nombreuses régions du sud du pays, générant plus de 70.000 emplois directs et indirects.
Ses premiers clients sont les Etats-Unis, le Japon, la Russie et le Brésil.
Derrière son usage intensif d’antibiotiques, il y a au Chili le traumatisme de plusieurs crises sanitaires: en 2007, le virus de l’anémie infectieuse du saumon (ISA) avait dévasté une partie de la production.
Début 2016, la prolifération d’algues nocives a provoqué la mort par asphyxie d’environ 100.000 tonnes de poisson, 12% du total.
Les saumons contaminés ont ensuite été déversés en pleine mer, entraînant une vaste pollution de la zone selon les pêcheurs chiliens, alors confrontés à une « marée rouge » d’algues nocives, responsables de la mort de milliers de saumons, de sardines, de baleines et de machas, un coquillage typique de la région.
Source : SANTIAGO DU CHILI, 5 août 2016 (AFP)
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