Dans trois ans, les cotons-tiges en plastique seront interdits en France. La raison ? Cet objet entré dans le quotidien représente des milliers de tonnes de déchets chaque année, qui finissent dans les décharges et les océans. Pas de panique ! On peut prendre soin autrement des oreilles.
« Les cotons-tiges, c’est mon petit plaisir après la douche. Je me lave les oreilles tous les trois jours environ, mais peu importe si je trouve quelque chose ou pas… en fait, j’aime surtout la sensation que ça me procure, des petits fourmillements dans les oreilles… c’est tellement agréable ! » Comme Antoine, les Français plébiscitent les bâtonnets ouatés, communément appelés cotons-tiges.
Pour cet article, j’ai réalisé un rapide sondage auprès de mon entourage. Les résultats, non représentatifs, rendent compte d’une passion très répandue pour le cure-oreille. « Un jour, j’ai croisé un charmant jeune homme, qui avait — horreur — l’intérieur des oreilles vertes ! raconte Suzie. Depuis, une des premières choses que je regarde chez l’autre, c’est l’état de ses oreilles. Pour moi, c’est une marque comme une autre de soin du corps, et d’écoute de celui-ci. » Geste d’hygiène, mais aussi de plaisir. Comme d’autres orifices corporels, l’oreille concentre un grand nombre de terminaisons nerveuses : elle est donc particulièrement sensible et réagit aux gratouillis. Ainsi, Suzie avoue trouver une « forme de jouissance » dans le curetage auriculaire.
« C’est un objet du quotidien, de l’intime, très utilisé », confirme le Dr Jean-Michel Klein, médecin ORL (oto-rhino-laryngologiste, spécialiste du nez, des oreilles et de la voix). Si le cure-oreille existe depuis l’Antiquité – on le nommait « escurette » au Moyen-Âge – la version moderne remonte aux années 1920. La légende veut qu’un certain Leo Gerstenzang, Polonais émigré aux États-Unis, ait inventé le célèbre bâtonnet en voyant sa femme coller du coton sur un cure-dent pour nettoyer les oreilles de leur bébé. Sa compagnie, la Q-Tip, rencontre peu à peu un succès mondial. Dans les années 1970, l’industrie pétrochimique, à la recherche de nouveaux débouchés, s’empare de l’objet et enrobe sa tige initialement en papier ou en bois de plastique. « À l’origine, il n’était vendu qu’en pharmacie, pour un usage médical, rappelle le Dr Klein. Mais depuis qu’il se trouve dans toutes les grandes surfaces, sa consommation s’est considérablement développée. » Chaque année, le groupe français Lemoine, leader dans le domaine, vend ainsi près de 30 milliards de cotons-tiges à travers le monde. Soit l’équivalent de 950 cotons-tiges chaque seconde. Soit 3.500 à 5.000 tonnes de plastique.
« C’est un petit pas qui peut avoir de grands effets » : Pourtant, ces petits bâtonnets vont disparaître de nos rayons. Un alinéa de l’article 124 de la loi Biodiversité, adoptée en juillet dernier, stipule ainsi que, « à compter du 1er janvier 2020, la mise à disposition à titre onéreux ou gratuit des bâtonnets ouatés dont la tige n’est pas composée de papier biodégradable et compostable en compostage domestique est interdite ». Autrement dit, dans trois ans, finis les bâtonnets en plastique !
« C’est un petit pas qui peut avoir de grands effets », estime la sénatrice communiste Évelyne Didier, à l’origine du texte. Un petit pas aux allures de parcours du combattant, qui commence dans le village de Conflans-en-Jarnisy, en Meurthe-et-Moselle. Mme Didier est alors élue municipale, chargée des déchets. Un jour qu’elle visite un centre de tri et de compostage, elle se rend compte que les matières organiques sont parsemées de petites boules blanches : des restes de cotons-tiges. « Ces objets sont trop petits, ils passent à travers les grilles de filtrage et ne se dégradent pas. »
Dans les centres de tri comme dans les stations d’épuration, les particules de plastique des bâtonnets ouatés se faufilent entre les mailles des filets, et se retrouvent ainsi dans notre environnement. Nos rivières et nos mers regorgent de ces résidus, extrêmement nocifs pour les animaux aquatiques et les oiseaux.
« Les déchets plastiques sont un fléau, confirme Diane Beaumenay, chargée de campagne à Surfrider. Ils perforent les organes internes et empoisonnent les animaux. » Chaque année, l’ONG organise des collectes de détritus sur le littoral européen. « Les cotons-tiges entrent dans le top 10 des déchets les plus présents sur nos plages », constate-t-elle. En 2015, 16.226 bâtonnets ont été récoltés, soit l’équivalent, mis bout à bout, de trois fois et demie la tour Eiffel.
« Le cérumen protège et nettoie » : Ainsi, dès 2020, seuls les bâtonnets biodégradables seront autorisés à la vente. Une mesure qui rencontre aujourd’hui un relatif consensus. Même Philippe Lemoine, président du groupe du même nom, leader européen du coton-tige, se dit « favorable à la loi », qui va « dans le sens de l’histoire ». L’entreprise cherche à présent à passer aux tiges en papier. « Pour le moment, ce type de tiges n’est fabriqué qu’en Allemagne… ou alors par des Chinois, explique le président. Nous voulons fabriquer ces produits en France, pour rester compétitifs. » Une de ses équipes travaille donc à la conception de machines à fabriquer du coton-tige biodégradable. Alors, même si cette « plaisanterie » — à savoir la transition du plastique vers le papier — va lui coûter 5 millions d’euros, Philippe Lemoine se dit très optimiste : « La fin des cotons-tiges de plastique, c’est écrit, tout le monde va y renoncer peu à peu. Nous nous serons adaptés avant les autres… Cette loi, finalement, est une opportunité économique fabuleuse ! »
Donc pas de panique ! Les amoureux du bâtonnet pourront continuer à se titiller les oreilles, en mode écolo. Mais si cette interdiction partielle était l’occasion de remplacer complètement le coton-tige ? Comme nous l’explique le Dr Klein, cet objet très commun n’est pas du tout adapté. Pire, il serait même dangereux pour nos appareils auditifs. « Ces bâtonnets sont fins, leur calibre est trop petit. Ils poussent le cérumen vers le fond, risquant d’obstruer le conduit. La moitié des bouchons que nous voyons en consultation proviennent d’un mauvais usage des cotons-tiges. » Et l’ORL de rappeler que si notre petit doigt se nomme auriculaire, du latin « auricula » (lobe de l’oreille), c’est parce qu’il a la taille adaptée à notre conduit auditif !
Un geste potentiellement risqué donc, et inutile de surcroît ! « Dans notre oreille, il fait 37°C, et c’est humide : le milieu parfait pour les bactéries. Le cérumen protège et nettoie, il joue un peu le rôle des granulés absorbeurs d’humidité qu’on met dans son placard », détaille le Dr Klein. Le cérumen n’a donc rien à voir avec des excréments auriculaires : il est indispensable à notre santé ! D’ailleurs, à trop se laver les oreilles, il arrive que l’on épuise notre stock de cire, entraînant ainsi otites, infections et eczéma à répétition.
Que faire alors de cette pellicule jaunâtre qui orne disgracieusement l’extérieur de notre pavillon ? Ceci, on peut le retirer, mais pas trop souvent, une fois tous les dix jours suffit, et pas avec un coton-tige ! »
Il existe en effet des solutions de rechange aux bâtonnets ouatés. Vous trouverez en pharmacie des cure-oreilles en métal ou en bois. Une tige fine qui fait office de manche avec, à son extrémité, un grattoir en forme de petite cuillère : voilà la solution pour se cureter sans danger ! Le site Cure-oreille détaille d’ailleurs la méthode à adopter pour un nettoyage adapté.
Source : Reporterre – 19 décembre 2016 / Lorène Lavocat
Crédit photo : http://oyabe.biz/SANT