Pesticides : les autorisations « laxistes » de l’Europe

Les procédures européennes d’homologation des pesticides sont-elles coupables de laxisme? Deux organisations non gouvernementales (ONG) l’affirment avec force dans un rapport qui devait être rendu public mardi 3 avril. Selon Pesticide action network-Europe (PAN-Europe) et Générations futures, la Commission européenne et les Etats membres ont permis à une dizaine de substances suspectes d’effets délétères sur l’homme et/ou l’environnement de revenir en grâce après avoir été retirées des procédures standards d’homologation.

En 2008, les dossiers d’évaluation de plus d’une cinquantaine de molécules ne remplissaient pas les conditions d’une autorisation européenne, généralement en raison de l’absence de certaines données toxicologiques. « Parmi ces substances, la plupart étaient utilisées depuis de nombreuses années mais n’avaient jamais été évaluées selon les critères de la directive européenne de 1991 », explique Hans Muilerman, l’un des responsables de PAN-Europe. Cette directive a lancé, il y a plus de deux décennies, un vaste plan d’harmonisation de l’évaluation des risques associés aux centaines de molécules phytosanitaires alors en usage dans les différents pays de l’Union.

Certaines d’entre elles, qui n’avaient toujours pas été homologuées en 2008, bénéficient de la possibilité d’être « resoumises ». « Pour pouvoir bénéficier de cette « resoumission » d’un dossier d’homologation, les firmes doivent accepter le « retrait volontaire » de leur pesticide du marché », expliquent les deux ONG. La Commission confirme l’existence de cette procédure de « resoumission », « mise en place par le règlement européen de 2007 qui établit les règles d’évaluation des pesticides existant, afin d’accélérer la procédure d’examen », dit-on du côté de la Direction générale de la santé et des consommateurs.

« HOMOLOGATION AU RABAIS »

Comme souvent lorsqu’il s’agit d’Europe et de règlements, l’affaire est un peu compliquée. Les industriels, explique-t-on en substance à la Commission, ont pu en effet décider de retirer volontairement du marché une substance en cours d’évaluation et bénéficier d’un délai de grâce jusqu’à la fin 2011, avant son retrait effectif… le temps pour eux de « resoumettre » un mini-dossier d’homologation. Cette procédure d’accélération n’est possible, fait-on cependant valoir à Bruxelles, qu' »à la condition qu’il n’y ait pas eu d’indication claire d’effets délétères clairs au cours de la première évaluation, menée par l’Etat membre rapporteur ».

Les ONG voient la situation sous un angle assez différent. François Veillerette, président de Générations futures, y voit un « cadeau » fait à l’industrie, sous forme d’une « homologation au rabais ». Selon les deux ONG, 87 molécules auraient tenté d’emprunter ce raccourci, 64 ayant déjà obtenu par ce biais une homologation définitive.

Pour les militants anti-pesticides, ce « cadeau » est le fruit d’un compromis avec les agrochimistes, afin de réduire le risque de contentieux. « C’est faux », répond-on à Bruxelles où l’on assure que le risque de procès n’est pas moindre puisqu' »il y a eu, depuis 2007, 35 recours en justice de l’industrie contre la Commission, dont 6 sont toujours en cours ».

MANQUE DE DONNÉES

Reste que les ONG ont quelques arguments. PAN-Europe et Générations futures ont ainsi passé en revue les autorisations accordées à dix de ces molécules controversées. Dans les dix cas, expliquent-elles dans leur rapport, « la réglementation européenne est violée » car « la condition de n’avoir aucun effet inacceptable sur l’environnement n’est pas remplie ». Les ONG en prennent pour preuve les rapports d’expertise rendus par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). A chaque molécule soumise, un Etat membre est désigné comme rapporteur et effectue une pré-évaluation des données toxicologiques fournies par l’industriel. L’EFSA rend ensuite une analyse critique de ce pré-rapport.

Pour les dix molécules examinées, l’EFSA rend compte dans ses rapports de lacunes plus ou moins sérieuses. Pour le bromuconazole, par exemple, l’EFSA relève des « manques de données » sur l’exposition du consommateur à un produit de dégradation de la molécule, sur les effets de perturbation endocrinienne chez les poissons et les oiseaux, sur les effets de la substance sur les mammifères herbivores, etc. Les dossiers des neuf autres molécules visées par les ONG (hymexazole, pyridabène, myclobutanil, etc.) présentent toutes ce genre de lacunes.

La Commission rétorque cependant que ces « manques de données » sont précisément pris en compte dans l’évaluation du risque et qu' »ils ne mènent pas automatiquement à des risques plus élevés dans des conditions réalistes d’utilisation ». L’érosion de la biodiversité ne fait, elle, aucun doute rappellent les ONG dans leur rapport et elle est sans doute, ajoutent-elles, le fruit de « règles dont on ne tient pas compte ».

Source : www.lemonde.fr – Stéphane Foucart
 
 
 
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