Le bio peut-il nourrir la planète ?

L’agriculture biologique peut-elle nourrir l’humanité ? Peut-on se passer d’engrais chimiques ? Certains estiment que les rendements en bio sont insuffisants pour subvenir aux besoins de la planète, qu’en est-il vraiment ? Enfin, la bio peut-elle être appliquée aux pays pauvres ? Éléments de réflexion.

Agriculture bio : baisse de la productivité ? Beaucoup affirment que la productivité de l’agriculture biologique est inférieure à celle de l’agriculture traditionnelle, et que le potentiel du bio est même insuffisant pour espérer nourrir la planète, avec 9 milliards d’êtres humains attendus en 2050. C’est notamment le point de vue qu’affiche la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture), qui estime que l’agriculture bio doit être certes encouragée, mais que subvenir aux besoins alimentaires mondiaux passe obligatoirement par une utilisation judicieuse d’engrais chimiques. Selon certains, l’agriculture bio, si elle était généralisée à l’ensemble des pays développés exportateurs (notamment Europe et Amérique du Nord), engendrerait une pénurie alimentaire, faute de rendements suffisants. Les détracteurs du bio annoncent ainsi une productivité en bio correspondant à la moitié, voire le tiers, de ce qu’elle est en agriculture conventionnelle.

La diminution des rendements dans les pays développés reste relative. Si la baisse de rendement dans les pays développés (gros utilisateurs de pesticides et d’engrais chimiques) est réelle, elle n’est, semble-t-il, pas si importante que cela :

-Une étude menée par des scientifiques de l’Institut de recherche pour l’agriculture biologique en Suisse a montré que les fermes biologiques avaient un rendement inférieur de seulement 20% aux fermes conventionnelles, sur une période de 21 ans.

-Per Pinstrup Andersen (professeur à Cornell et gagnant du World Food Prize) a passé en revue plus de 200 études menées aux Etats-Unis et en Europe, et arrive à peu près aux mêmes résultats que ses collègues suisses : le rendement de l’agriculture biologique arrive environ à 80% du rendement de l’agriculture conventionnelle.

-Bill Liebhardt (scientifique agricole de l’Université de Californie à Davis) a analysé les informations de 154 saisons de croissance sur diverses cultures et a mis en évidence que la production de maïs biologique atteignait 94% de celle de la production conventionnelle, celle de blé biologique 97% et celle de soja biologique 94%. Pour la tomate, la production bio égalait la production conventionnelle.

-Enfin, une étude publiée dans la célèbre revue Nature montre que le rendement en pomme, sur 5 ans, est équivalent dans un verger bio et un verger conventionnel (avec, en prime, des pommes bio plus sucrées que leurs congénères). 

En bio, de meilleurs rendements dans les pays en développement. Mais qu’en serait-il des rendements de l’agriculture biologique dans les pays en développement ? Les pays développés, avec leurs rendements énormes, voient leur productivité diminuer lors du passage en bio. Quand on part de très haut, il est facile de descendre… Mais l’inverse est vrai aussi : quand les rendements sont médiocres, il est aisé de les améliorer… avec la bio ! En effet, dans les pays pauvres où sévit la famine, lorsque le sol est peu fertile, soumis à la sécheresse, et lorsque les producteurs n’ont pas les moyens d’acheter des engrais chimiques, l’agriculture bio permettrait d’améliorer nettement les récoltes.                                                                         Quelques exemples d’études allant dans ce sens :

-Des chercheurs de l’Université d’Essex ont passé en revue plus de 200 projets agricoles dans les pays en voie de développement. Ils ont évalué à +93% l’augmentation moyenne des rendements obtenus en adoptant les pratiques de l’agriculture biologique, pour l’ensemble de ces projets (9 millions de fermes sur près de 30 millions d’hectares).

-Plus modestes, mais concluants eux aussi, les résultats d’une étude menée sur 7 ans, et portant sur 1000 fermiers cultivant 3 200 hectares dans le centre de l’Inde : la production moyenne de coton, de blé et de piment était jusqu’à 20% plus élevée dans les fermes bio que dans les fermes conventionnelles. Ces bons résultats du bio s’expliquent très simplement : dans cette région sèche, les pratiques de l’agriculture biologique (cultures de couverture, compost, fumier…) augmentent la matière organique du sol et favorisent la rétention de l’eau. Le sol, rendu plus fertile, produit plus, même sans engrais chimiques. 

Généraliser l’agriculture bio dans les pays pauvres, c’est possible ? L’agriculture biologique est intéressante dans les pays en développement, d’abord parce qu’elle ne nécessite pas l’achat d’intrants (engrais chimiques, pesticides…), et qu’elle est donc particulièrement adaptée aux exploitants dont les moyens financiers sont très limités, et qui n’ont d’ailleurs que peu accès aux intrants agricoles. Elle nécessite également moins d’eau, critère important dans les zones sèches (qui sont souvent aussi les zones pauvres). Enfin, elle requiert davantage de main d’œuvre, permettant ainsi d’offrir une activité et un revenu à des populations sous-employées. C’est donc un moyen de stabiliser les zones rurales et de juguler l’exode vers les villes. 

Le frein principal qui joue en défaveur de la bio tient aux connaissances nécessaires en agriculture biologique : si la bio s’appuie sur une sagesse ancienne, elle n’en utilise pas moins des techniques agronomiques pointues. Elle met en œuvre des innovations écologiques modernes et demande de l’expérience, un savoir-faire, des capacités d’observation, d’anticipation et de planification importantes. On ne s’improvise pas agriculteur bio ! Or, les petits producteurs des pays en développement n’ont que peu accès au conseil et aux formations qui leur permettraient d’atteindre le niveau technique requis. Sans compter que la bio demande des investissements au départ, hors d’atteinte des petits producteurs, ainsi qu’une filière de commercialisation bien organisée.

Peut-être alors faut-il adopter une solution intermédiaire : chaque fois que c’est possible, encourager la bio, et, le reste du temps, pratiquer une agriculture à tendance bio, utilisant notamment la lutte biologique intégrée, mais avec une marge de manœuvre permettant le recours aux pesticides et  aux engrais chimiques en cas de nécessité. Cette agriculture, avec une utilisation raisonnée et parcimonieuse d’intrants chimiques, serait plus facile à généraliser à court et moyen terme : elle maintiendrait les rendements et convaincrait donc plus facilement les agriculteurs réticents au 100% bio. Elle serait aussi une première étape vers une agriculture biologique généralisée.

Nourrir la planète avec ou sans la bio : une fausse question. De toute façon, comme le rappelle l’ONU, nourrir la planète n’est pas seulement une question de rendements et de techniques agricoles. C’est aussi une question d’accès des populations à la nourriture : fournir les aliments à ceux qui ont faim, mieux répartir les excédents agricoles, encourager les cultures vivrières, stabiliser les prix du marchés (ceux des céréales notamment), harmoniser (et moraliser) les échanges commerciaux… La politique et l’économie ont aussi leur rôle à jouer, et ce n’est pas parce que la nourriture sera disponible que les populations affamées pourront l’acheter.

 

 

 

http://www.gerbeaud.com/clementine
 


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