Les Américains ont de la chance. Ils trouvent dans les étals de leurs supermarchés des oignons qui ne font pas pleurer, une salade croustillante comme une chips, un brocoli concentrant trois fois plus d’antioxydants que les autres, donc encore meilleur pour la santé. Merci qui ? Merci Monsanto, qui a mis au point ces légumes « high-tech ».
Encore des OGM ? Pas cette fois. Le géant américain spécialisé dans les biotechnologies agricoles s’est lancé depuis 2005 dans le créneau des fruits et légumes rendus hautement performants grâce aux biotechnologies mais non génétiquement bidouillés. Ce n’est pas le seul puisque tous les leaders du secteur (Syngenta, Bayer, Limagrain, etc.) s’engouffrent dans ce qui pourrait bien devenir, pour eux, une nouvelle corne d’abondance.
Une méthode ancestrale boostée par la high tech : Puisque c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, Monsanto a recours à une technique aussi ancienne que l’agriculture elle-même : les scientifiques disposent du pollen d’une plante comprenant un « trait » – une caractéristique – qui les intéresse (résistance à la sécheresse, meilleur rendement, production d’antioxydants, acidité, etc.) sur le pistil d’une autre plante de la même espèce, pour la féconder. La nouveauté vient de l’association de cette méthode conventionnelle de croisement des espèces végétales – aux résultats aléatoires – avec les dernières avancées en matière de génotypage et de marquage moléculaire.
Il s’agit en fait pour les multinationales de faire une cartographie très précise du code génétique de la plante (c’est le séquençage du génome) puis d’identifier par des marqueurs moléculaires (des fragments d’ADN qui servent de repères pour suivre la transmission d’un segment de chromosome d’une génération à l’autre) l’endroit où se trouve, dans un ou plusieurs gènes, le fameux trait recherché.
Après croisement, les chercheurs entrent l’ADN de la descendance dans la machine à séquencer qui leur permet de sélectionner uniquement les semences possédant le ou les trait(s) désiré(s). « C’est de l’amélioration variétale assistée par la génomique », explique Yves Dessaux, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) responsable du service interaction plantes-micro-organismes à l’Institut des sciences végétales.
Monsanto délaisse les recherches sur les légumes OGM : Dans la nature, cela peut prendre des millénaires d’obtenir une plante avec les caractéristiques voulues. Désormais, il suffit de quelques années. « L’objectif de ces méthodes est d’aller plus vite, d’être plus efficace et de travailler moins en aveugle », explique Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint « agriculture » à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique).
Monsanto, qui sait bien que les légumes génétiquement modifiés ne mettent pas du tout les consommateurs en appétit, précise par mail à Terra eco que « aujourd’hui, plus de 98% de l’investissement mondial en Recherche & développement est consacré à l’amélioration conventionnelle des semences ». « Les techniques modernes d’amélioration des plantes permettent de proposer plus de choix au consommateur, plus rapidement, et à un coût moindre », justifie l’entreprise.
Est-ce une bonne chose ? « On modifie le vivant à vitesse grand V, mais on ne fait qu’accélérer un processus déjà existant », explique Guy Kastler, responsable du dossier des OGM à la Confédération paysanne et membre du réseau Semences paysannes. Jusqu’à preuve du contraire, cette technologie n’entrainerait pas d’impact négatif sur la santé ni sur l’environnement.
Une avancée pour le bien commun ? Elle serait même « potentiellement très utile », estime Christian Huyghe qui y voit le moyen « de mieux utiliser les ressources génétiques » et, ce faisant, « d’améliorer le contenu des assiettes, assiettes qui coûteraient moins cher car les fruits et légumes seraient plus faciles à conserver, auraient moins de maladies, seraient plus uniformes, ce qui entraînerait moins de pertes ». Bien sûr, reconnaît-il, « tout dépend de la façon dont on utilise la technologie ».
Et c’est là, évidemment, que le bât blesse. A l’Inra, on redoute « une forme d’abandon des espèces végétales mineures », explique le chercheur : « On séquencera pour les améliorer les pommes de terre et les salades mais qu’en sera-t-il des féveroles et des pois par exemple ? » Lui mise malgré tout sur une démocratisation rapide des technologies de séquençage – dont le coût chute de manière continue – qui devrait permettre de multiplier le nombre d’espèces séquencées.
… Ou une manne pour les grands semenciers ? Mais la grande crainte concerne surtout les brevets. En juin dernier, la société américaine Seminis, filiale de Monsanto, a obtenu auprès de l’Office européen des brevets (OEB) un brevet sur un brocoli issu de procédés de sélection conventionnelle, assistée par la génomique. Sa particularité ? Sa tête allongée en facilite la récolte.
Tomate ridée pour mieux la sécher, laitue résistante aux pucerons, melon résistant à un certain type de pourriture, tournesol enrichi en acides gras, etc. Eux aussi ont obtenu des brevets devant cet organisme basé à Munich, et qui suit les orientations fixées par la directive européenne 98/44/CE.
A l’origine destiné à protéger les innovations issues de la transgenèse (les OGM), le texte est rédigé en termes suffisamment vagues pour que la protection par brevet ait pu s’étendre progressivement aux inventions relevant de la sélection conventionnelle, assistée par marqueurs.
Le brevetage du vivant, une menace toujours présente : Problème : les brevets ne couvrent pas seulement les procédés de sélection mais aussi la plante elle-même. « Ce qui revient à déposer un brevet sur les gènes natifs, naturellement présents dans la plante », s’alarme Guy Kastler. Le réseau Semences paysannes auquel il appartient s’est associé à la coalition d’ONG européennes « No patents on seeds ! » (« Pas de brevets sur les semences ! ») selon qui « ces brevets favorisent une plus grande concentration du marché des entreprises de semences, ce qui rend les agriculteurs et les autres opérateurs de la chaîne alimentaire encore plus dépendants de quelques grandes entreprises multinationales et au final, donne moins de choix aux consommateurs ».
L’Inra non plus n’est pas favorable au brevetage de ces méthodes, qui permet aux semenciers de décider seuls des semences qu’ils vont commercialiser. « Ça aboutit à freiner la recherche », explique Christian Huyghe. Lui estime plus pertinent le système de certificats d’obtention végétale (COV), adopté par 70 Etats dans le monde dont la France, qui donne certes un droit d’exclusivité pendant vingt-cinq ou trente ans sur une variété protégée, mais qui « encourage et encadre le progrès génétique » : les COV autorisent l’utilisation d’une variété protégée sans rien avoir à payer à son détenteur, à condition de la croiser pour obtenir des semences nouvelles.
En juin dernier, le Haut conseil aux biotechnologies, qui rassemble aussi bien la Confédération paysanne que l’Union française des semenciers, a clairement rejeté, dans un rapport intitulé Biotechnologies végétales et propriété industrielle toute idée de brevetabilité des gènes et caractères natifs des plantes. En tout, une douzaine de recours ont été déposés par « No patents on seeds ! » auprès de la Haute cour de l’OEB. Plus aucun brevet ne sera délivré sur ce type de méthode tant que la Haute cour n’aura pas tranché le cas du brocoli à tête allongée de Monsanto.
Source : terraeco.net Crédit photo : http://mangerdubonmanger.com/