Max Havelaar invente le commerce équitable à deux vitesses

Fairtrade-Max Havelaar, l’une des principales marques de commerce équitable, change son système de certification pour séduire les multinationales. Dans cette tribune, l’économiste Christian Jacquiau (1) analyse cette démarche controversée.

max havelaar-www.clairejannot.com« Jusqu’à présent, les enseignes n’ont pas cherché à faire du volume sur le commerce équitable en diminuant leur marge et le prix de vente. Mais si l’un des distributeurs venait à jouer ce jeu, les jours pourraient s’annoncer difficiles [pour qui]en connait les règles : réduire les marges pour faire des opérations promotionnelles et doper les ventes, puis se retourner vers le fournisseur en lui demandant une compensation financière s’il veut continuer à être référencé », avertissait avec lucidité en décembre 2003 un certain Pascal Canfin.

Le plan de soutien au commerce équitable (7 millions d’euros) annoncé il y a moins d’un an par le même Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement cette fois, affiche l’intenable ambition de tripler la consommation de produits équitables au cours des trois prochaines années en France. Il se traduit par « un soutien à la marque privée Max Havelaar et des incitations aux grandes surfaces pour qu’elles fassent des promos publicitaires en tête de gondole », selon Emmanuel Antoine de l’association Minga (2).

Où sont passées les belles promesses de ceux qui prétendaient « contaminer » l’ensemble des rayons des supermarchés d’une irréversible équité ? Le pari de transformer les géants de la distribution en authentiques philanthropes et de modifier les gènes des pousseurs de Caddies pour en faire de farouches militants de l’alterconsommation n’a pas été tenu.

Qu’à cela ne tienne ! La quotité d’équité contenue dans un produit pour qu’il puisse être logotisé par Max Havelaar sera désormais saupoudrée avec parcimonie sur davantage d’emballages, créant dans les rayons une progression manifeste de l’équitable en trompe… l’œil. Le cacao, le sucre et le coton sont visés par ces nouvelles normes Max Havelaar a minima. Unilever, PepsiCo, Mars, Nestlé et même le hard discounter Lidl ont annoncé leur engagement à ses côtés pour ce programme équitable low-cost qui ne les engage qu’à peine.

Pourquoi cet affolement consistant à prendre dans l’urgence des positions sur un marché du cacao en pleine effervescence ? C’est que la pénurie se profile. La demande des pays développés est repartie à la hausse, dopée par la progression de la consommation des classes moyennes chinoises qui ne consomment en moyenne que 100 grammes de chocolat par an contre 6,3 kilos pour un français et 11 kilos pour un allemand. « Il faudra un million de tonnes de plus qu’aujourd’hui pour couvrir les besoins de la planète », explique le suisse Barry Callebaut, numéro un mondial du chocolat.

Commerce équitable ou pas, le prix des fèves de cacao va flamber dans les mois à venir face à la demande mondiale insatisfaite. Pour une fois, la fameuse « loi du marché » pourrait bien jouer en faveur des producteurs. Avec le risque qu’ils soient tentés de s’émanciper d’un commerce équitable devenu beaucoup moins attractif pour eux, au détriment des certificateurs… Pour gagner des parts de marché dans l’urgence, Max Havelar a réinventé la recette du pâté d’alouette. Prenez un bon vieux cheval (500 kilos en moyenne). Qu’il soit en provenance d’abattoirs roumains peu regardants ou d’ailleurs n’a ici aucune importance. Hachez le menu. Incorporez à la « farce » obtenue la chair tendre d’une frêle alouette (30 à 50 grammes) provenant d’un élevage certifié « équitable ». Mélangez. Salez. Poivrez. Vous obtenez un délicieux « pâté d’alouette » pour pigeons lobotomisés dans lequel « l’équité » pèse à peu près autant qu’une pincée de plumes.

Qu’on se rassure. Il n’y a aucun risque qu’un tel scénario puisse se produire. Spanghero a renoncé au cheval « pur bœuf » et Max Havelaar ne certifie pas encore les alouettes. Appliqué au cacao, au sucre ou au coton, la confusion pourrait bien en revanche fonctionner à plein. Une compote de pommes pourra en effet arborer désormais de façon bien visible sur son emballage les fières couleurs de Max Havelaar grâce à son label restrictif « Fairtrade Max Havelaar-programme sucre ». Peu importe les conditions sociales et sanitaires réservées aux cultivateurs, aux cueilleurs et aux transformateurs des pommes. Lorsque ladite compote passera en caisse, elle sera bien évidemment enregistrée comme « produit du commerce équitable » pour son prix de vente total au consommateur. Pas pour les quelques grammes de sucre qui lui autorisent de se référer à Max Havelaar. Pire encore. Les multinationales pourront utiliser le logo Max Havelaar dans leur communication hors emballage (sites Internet, rapports RSE, etc.) dès lors qu’elles incluront un minimum de matières premières certifiées.

Après le greenwashing voici venu le temps du fairwashing. L’équitable partout mais pour quelle équité ? En mettant en place un commerce équitable à plusieurs vitesses Max Havelaar organise une concurrence déloyale et inéquitable qui frappera en premier lieu ses concessionnaires les plus rigoureux et les plus exigeants (Artisans du Monde, Oxfam, Ethiquable, Alter Eco, etc.) au profit des marques de distributeur (MDD) et des géants de l’agroalimentaire. Laisseront-ils dépolitiser davantage la démarche sans réagir ?

(1) Les marchands d’équitable in Les coulisses du commerce équitable, Christian Jacquiau, Mille et une nuits, 2006.
(2) Le plan gouvernemental sur le commerce équitable : tout pour la façade ! , Emmanuel Antoine, Revue Nature & Progrès n° 94 (Septembre/Octobre 2013). L’association Minga a pour objectif d’agir pour une économie équitable.
 
 
Source : http://www.politis.fr
Crédit photo : http://www.maxhavelaar.ch
 
 
 
 
 
 
 
 
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