Le point sur la ferme des mille vaches :

Controverse, manifestations, imbroglio judiciaire: trois années ont passé et la ferme « des 1.000 vaches » a creusé son sillon à Drucat (Somme), mais les opposants estiment avoir gagné la bataille idéologique à l’heure du bio et des circuits courts.


Michel Welter, son volubile responsable, ne s’inquiète pas outre mesure de la décision imminente du Conseil d’Etat – qui va se prononcer sur la validité d’une partie de l’enquête publique ayant débouché sur l’autorisation d’exploiter 800 vaches.

Il préfère savourer l‘attractivité de son modèle, symbolisée en cette matinée de décembre par la visite d’apprentis agricoles, qui parcourent l’allée centrale du grand hangar faisant office d’étable.

De part et d’autre, les vaches s’alignent à l’infini, museaux au travers de la barrière pour ruminer le fourrage. Dans quelques minutes, elles iront prendre place dans le grand manège tournant du « roto », pour la deuxième des trois traites automatisées de la journée.

Un investissement initial de 7,5 millions d’euros, 850 vaches sans compter les génisses, 8,8 millions de litres de lait produits en 2017: la ferme construite en 2013 et 2014 dynamite la tradition française, aux troupeaux de 70 vaches en moyenne. De quoi courroucer l’association locale Novissen.

« Ils en sont encore à +Martine à la ferme+! », peste Michel Welter, qui dénonce l’argumentaire « émotionnel » de ses détracteurs. Chez Martine, les vaches sortaient en pâturage. Pas à Drucat: la surface d’herbe nécessaire aux centaines de bovins serait énorme et ne permettrait pas de rentrer régulièrement les vaches pour la traite.

Or, observe Jacques Caplat, consultant en agronomie, auteur notamment de « Changeons d’agriculture, réussir la transition » (Actes Sud), se passer de vaches qui broutent de l’herbe revient à faire une croix sur l’avantage de l’animal: un organisme capable de transformer en énergie (le lait) une matière première a priori inutile pour l’homme. Tandis que nourrir une vache majoritairement en céréales, comme à Drucat, c’est les ôter de la bouche d’un être humain.

Pour cet expert, donc, « une ferme laitière cohérente d’un point de vue agronomique, (…) en France c’est autour de 50 vaches, maximum 80. La notion même de 1.000 vaches est intenable ».

Les élevages dépassant cette taille sont pourtant monnaie courante en Allemagne, au Danemark, en Espagne, sans parler des Etats-Unis.

« Aucun syndicaliste agricole ou spécialiste sensé ne va dire que c’est un modèle qu’il faut développer. Pour autant, on peut imaginer que d’ici quelques années il y ait 20 ou 30 fermes de ce type en France », avance Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint du département agriculture de l’INRA.

Selon le chercheur, au-delà du bien-être animal, le problème de ce modèle de ferme est qu' »il ne produit pas beaucoup de services écosystémiques, c’est-à-dire ce que produit un élevage en dehors du lait: des paysages, des prairies pour un écosystème… »

Il y a bien eu ce projet de méthaniseur, qui aurait permis de transformer l’abondante quantité de lisier en énergie revendue à EDF, mais Michel Welter assure qu’il a été bloqué par l’Etat. Ainsi s’est envolée une manne financière sur laquelle comptait l’investisseur, feu Michel Ramery, à la tête du grand groupe BTP du même nom.

Mauvaise affaire pour l’environnement aussi. Le lisier épandu dans les champs voisins l’est en quantité telle que le risque d’une pollution en nitrate des sols, des plantes et des nappes phréatiques d’une part, et d’une émanation d’ammoniac d’autre part, est décuplé, pointe du doigt Jacques Caplat.

« A l’analyse, il n’est pas impossible que l’exploitation soit performante d’un point de vue environnemental », relève cependant Jean-Louis Peyraud.

Michel Welter répond en effet, inlassablement, que la ferme satisfait à tous les tests imposés par la règlementation. Pour lui, les économies d’échelle sont aussi environnementales: « Je reconnais qu’une vache qui produit 35 litres de lait par jour produit plus de méthane qu’une vache qui en produit 17. Mais pour produire 100 litres de lait, trois vaches à 35 litres dégagent moins de méthane que six vaches à 17 litres ».

Mais a-t-on besoin de produire toujours plus ? L’augmentation de la population dans le monde, notamment en Afrique, l’impose, affirme Michel Welter. Francis Chastagner, président de Novissen, s’insurge: « C’est ce genre d’industrie qui est en train de couler l’agriculture en Afrique, et qui y développe les problèmes de nutrition. »

La ferme a résisté à ces critiques. Son exploitant confesse pourtant: « Il y a eu tellement de procédures au tribunal que les investisseurs sont frileux », d’autant que la situation financière est fragile.

Aucun autre projet de ferme laitière à la même échelle n’a d’ailleurs vu le jour en France, une victoire pour les opposants. Selon Francis Chastagner, avec l’émergence des circuits courts et la montée en puissance du bio, « le discours dans l’opinion sur ce genre d’usine a bien changé en cinq ans. Welter a beau avoir la loi de son côté, il n’a pas les gens ».

 

Source : DRUCAT (France), 22 déc 2017 (AFP)
Ce contenu a été publié dans Société, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.