Sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

Deux livres, sortis coup sur coup en ce début d’année, relancent le débat autour de la question démographique en prenant appui sur des arguments écologiques.

foule-www.clairejannot.com« Bientôt 10 milliards d’humains sur Terre. Combien de temps encore la planète pourra-t-elle fournir l’eau, la nourriture, l’énergie nécessaires ? » Les premières phrases de la quatrième de couverture du dernier livre d’Alan Weisman, Compte à rebours, jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur Terre ?, sorti en janvier en France, donnent le ton. Pendant deux ans, l’auteur américain a parcouru le monde et quelques-unes de ses zones les plus densément peuplés – l’Inde, les Philippines, Israël – pour interroger la capacité d’accueil de différents écosystèmes. Il laisse peu de place au doute : « Existe-t-il un moyen pacifique et moralement acceptable de convaincre les humains de toutes les cultures, religions, nationalités, tribus du monde qu’il est dans leur intérêt de faire moins d’enfants ? » interroge-t-il.

Au rayon démographie des bonnes librairies en sciences sociales, il a été rejoint la semaine dernière par un ouvrage collectif intitulé Moins nombreux, plus heureux. L’urgence écologique de repenser la démographie. Si les titres s’avèrent explicites sur l’idée de surpopulation, les deux travaux ont aussi en commun de baser leur réflexion sur des considérations écologiques : insuffisance des ressources naturelles, destructions de la biodiversité, changement climatique, etc. « Le constat est simple : une population moins nombreuse faciliterait l’organisation sociale, le partage de l’espace et donc l’émergence possible de relations apaisées entre humains et avec la nature », énonce Michel Sourrouille en introduction de l’ouvrage collectif qu’il a coordonné. 

De Malthus à Ehrlich. Historiquement, ces théories ne sont pas nouvelles et s’appuient notamment sur l’héritage de Thomas Malthus. Dans son Essai sur le principe de population, le pasteur anglais justifie la restriction démographique par la disponibilité alimentaire : la population croît plus vite que les ressources disponibles – c’est la célèbre allégorie du « grand banquet de la nature » – conduisant à des famines. Il faudrait donc limiter la croissance de la population. La sombre prédiction de Malthus a longtemps été oublié en raison de la croissance de la production agricole aux XIXe et XXe siècles. Mais la thèse malthusienne rebondi avec force dans les années 1960, quand La Bombe P, ouvrage polémique de Paul Ehrlich a été publié, en 1968. Le livre a connu un succès fulgurant et a été réédité treize fois en moins de deux ans. Résolument alarmiste, Ehrlich parle de la surpopulation comme d’une maladie de la terre. Pour la première fois, la population est accusée d’être responsable de la crise environnementale : « La chaîne causale de la détérioration peut facilement être remontée jusqu’à ses sources. Trop de voitures, trop d’usines, trop de pesticides. Pas assez d’eau, trop de dioxyde de carbone, tout peut être attribué à une cause unique : trop de personnes sur Terre ».La polémique a laissé une forte empreinte, et la question démographique revient de manière récurrente dans les débats écologistes. Par la suite, différents scientifiques et intellectuels reprendront cette thèse présentant la variable démographique comme une des causes principales de destruction du milieu environnemental. 

Où en est-on aujourd’hui ? Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (Unfpa), la population mondiale a très officiellement franchi les sept milliards d’habitants le 31 octobre 2011. Selon le scénario central de la division de la population des Nations unies, la Terre porterait neuf milliards d’humains en 2050.« Cette projection est très crédible, juge Jacques Véron, chercheur à l’INED (Institut national d’études démographiques). 

En réalité, le débat tourne plutôt autour de l’après-10 milliards, qui est pour l’heure bien plus difficile à anticiper ».La courbe de croissance est impressionnante : la population mondiale a triplé en moins d’un siècle, passant de deux milliards d’humains en 1930 à six milliards en 2000. Elle a depuis, dans l’espace d’une décennie, a augmenté d’un milliard :Le changement climatique ajoute depuis quelques années à l’inquiétude : la démographie ne joue plus seulement sur l’épuisement des ressources, mais aussi sur le climat.Le nombre ou la consommation ? Le problème peut se représenter sommairement schématiquement par l’équation. 

I = P x A xT , 

où I représente l’impact des activités humaines sur l’environnement, 

P la population d’un territoire donné, 

A le niveau de consommation,

T la technologie.Dans la préface qu’Yves Cochet signe pour le livre Moins nombreux, plus heureux, le député écologiste s’étonne que les politiques publiques évacuent en permanence le facteur P, travaillant d’abord sur les deux autres variables A, et surtout T, la technologie. En fait, l’équation donne à la population un degré d’importance égale aux autres valeurs. Mais, selon Jacques Véron, « il n’y a pas d’indépendance entre les trois variables. On ne peut donc pas distinguer les effets sur l’impact final, car les trois variables agissent ensemble.

On constate à peu près partout qu’une augmentation du niveau de vie et de consommation [variable A] s’accompagne d’une baisse de la population… » Autrement dit, le volume de population est d’abord lié à un état de richesse qui détermine les modes de consommation et les performances technologiques. « Le problème de cette équation, c’est qu’elle considère la population comme une variable identique, homogène. Or, une famille en Inde ne vaut pas une famille à Paris en termes d’impact environnemental… »Vouloir isoler le volume démographique de ses contingences économiques et culturelles serait donc un contre-sens : l’impact sur l’environnement d’une population est intrinsèquement lié à son niveau de développement et aux modes de production et de consommation qu’elle adopte.Le rôle clé de la répartition des richesses

La démographie est une science complexe, à l’intersection des problématiques naturelles et des enjeux culturels. Et Jacques Véron reconnaît que les démographes sont peu nombreux à suivre les questions d’environnement à l’INED. La sociologie des sciences permet une explication : « Différents univers scientifiques se confrontent. Pour un biologiste, la démographie humaine ne diffère guère de la reproduction des lapins. Pour les sciences sociales, cela dépend de facteurs culturels, de processus historiques ou de contextes économiques. La rencontre de ces disciplines ne facilite pas la reconnaissance de la démographie en tant que telle, quand, dans le même temps, la crise environnementale fait intervenir d’autres champs tels que la climatologie ou les sciences de la biodiversité…

Dans ce contexte, associer les problématiques de démographie aux enjeux écologiques est compliqué. C’est pourquoi les démographes ont fini par adopter une position de retrait de la relation entre pression démographique et crise écologique » analyse-t-il. D’autres disciplines scientifiques proposent de leur côté des réponses à la question de la surpopulation.

Concernant la disponibilité des ressources et la possibilité de nourrir un monde à dix milliards d’habitants, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) explique depuis plusieurs années que l’agriculture peut répondre aux besoins alimentaires de dix d’habitants, voire douze : ce qui compte, dans cette optique, ce sont les méthodes de production et les modes de consommation, notamment à l’égard de la viande : pour un même apport alimentaire, sa production nécessite beaucoup plus de terre que les céréales. De surcroit, la répartition des richesses joue un rôle crucial : l’agronome Marc Dufumier explique qu’un être humain a besoin de 200 kilos de céréales par an pour se nourrir correctement quand la production mondiale est actuellement de l’ordre de 330 kilos par personne. Le problème de la malnutrition n’est ainsi pas lié au potentiel des ressources, mais bien plutôt à la répartition de la production. Par ailleurs, les données sur le changement climatique confirment l’importance relative du facteur population dans la réalité des perturbations. Pays les plus peuplés du monde, l’Inde et la Chine restent très loin derrière les Etats-Unis ou l’Union Européenne concernant les émissions équivalent CO2 par tête. Ici, c’est donc les modes de production et de consommation qui semblent aggraver le réchauffement climatique.

Un abaissement des émissions des habitants des pays les plus riches, donc une plus grande égalité mondiale, aurait ainsi un effet crucial sur le niveau global des émissions. Jacques Véron conclut : « Je ne vois pas aujourd’hui au nom de quoi on pourrait dire que nous sommes trop nombreux. Il ne s’agit pas de nier que la pression démographique a des conséquences sur l’environnement, mais d’éviter les discours réducteurs ou simplistes. Le problème, c’est de considérer que les détériorations environnementales soient du ressort de la démographie au premier degré. Est-ce que si l’on était moins nombreux, on respecterait pour autant plus les forêts et la biodiversité… ? 

»Absente de l’agenda médiatique, la question de la surpopulation et de son lien de causalité avec la crise écologique est une question particulièrement sensible pour la sphère politique. 

Source : Barnabé Binctin – reporterre –lundi 3 mars 2014
Crédit photo : http://www.atelier.net/
 
 
 
 
 
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