INTERVIEW : Fred Buyle, spécialiste du marquage des squales, a étudié les eaux où cinq attaques ont eu lieu en 2011
«A la Réunion, il n’y a pas de risque requin, mais un problème humain». L’an dernier, la Réunion a dénombré en huit mois cinq attaques de requins contre des surfeurs et baigneurs, dont deux fatales. Une série noire qui a donné lieu à deux missions d’étude. Le projet Charc, subventionné par des fonds publics et mené par l’Institut de recherche pour le développement, étudie l’écologie des requins tigres et bouledogues, les plus abondants sur ces côtes. Un travail de longue haleine, sur trente mois et pour lequel les scientifiques commencent par capturer des squales et placer des balises acoustiques dans leur abdomen avant de les relâcher.
L’autre mission, financée par des fonds privés et lancée par la Fédération française d’études et de sports sous-marins, a fait appel, de novembre à décembre, à deux apnéistes spécialistes du marquage des requins, le Belge Fred Buyle et le Canadien William Winram. De passage à Paris à l’occasion du Salon de la plongée, Fred Buyle, ex-recordman du monde d’apnée et photographe sous-marin, en dresse le bilan.
Comment avez-vous procédé ?
L’apnée permet une approche peu invasive des requins. Nous allons à leur rencontre pour les observer dans leur milieu naturel et nous tirons des «tags», ou marqueurs électroniques, avec une arbalète de chasse sous-marine.
Comment les sites de plongée ont-ils été déterminés ?
On a étudié la zone des accidents, à la recherche des biotopes favorables aux requins bouledogues, qui sont les suspects potentiels dans ce type d’accidents. Ces squales opportunistes peuvent agir en groupe, comme dans le dernier accident où les sauveteurs ont observé plusieurs individus s’acharnant sur la victime. Nous avons plongé aux abords des Roches noires, près du port de Saint-Gilles, et dans la baie de Saint-Paul. Les requins bouledogues ont besoin d’eau douce, notamment pour se déparasiter, et apprécient les eaux turbides et saumâtres. Avec une baie dans laquelle se jettent plusieurs rivières, des ravines qui rejettent eau douce et déchets organiques, une ferme aquacole et une plage sableuse qui abrite des bateaux de pêche, la zone est idéale pour eux.
Qu’avez-vous observé ?
En 17 sorties, nous n’avons pu marquer aucun requin. Nous n’avons observé que 8 requins bouledogues, mais aucun autre, pas même un petit requin pointe blanche de récif. En vingt-cinq ans de plongée en eaux tropicales, je n’en ai jamais observé si peu ! Curieusement, ils étaient très furtifs, timides, ils se sont rarement approchés malgré les appâts sonores ou à base de morceaux de poisson. D’habitude, ils restent aux alentours. Cela m’a vraiment étonné. Selon moi, il y a très peu de requins dans ces eaux tropicales, d’ailleurs peu poissonneuses. Il est aussi possible que les requins aient été fortement dérangés avant notre arrivée, notamment par la capture d’un individu.
Comment expliquer cette série d’accidents ?
Il n’y a pas une explication, mais un faisceau de facteurs favorisants. D’abord, un biotope idéal et de la nourriture qui fidélise ces requins sédentaires : dans le port de Saint-Gilles, les pêcheurs balancent en nombre les carcasses de poissons, à quelques centaines de mètres des plages. Ensuite, il faut réaliser que surfeurs et nageurs sont des «usagers faibles» de la mer. Ils flottent en surface et le requin peut jauger cette proie potentielle sans que celle-ci en ait conscience. Au contraire, un plongeur ou un chasseur sous-marin montrera au requin qu’il est repéré. En voyant les plages réunionnaises, William Winram, qui est aussi surfeur, a tout de suite dit qu’il n’irait jamais surfer ou se baigner sans quelqu’un en surveillance dans l’eau. S’il n’y a pas eu d’accidents avant sur cette portion de côte, c’est par chance ! Il y a environ une morsure par an à la Réunion depuis 1980.
Que faire face à la psychose ?
Sur place, nous continuons à taguer. Une fois que plus de requins auront été marqués, il sera possible de les géolocaliser et, si on les détecte à proximité de plages, de fermer celles-ci. Pour moi, il n’y a pas de risque requin à la Réunion, mais un problème humain. On a tendance à oublier que la mer reste un milieu naturel et non sécurisé et les requins, des animaux sauvages. A la Réunion, on n’est pas souvent confronté aux requins, d’où une peur panique. Sur les plages d’Afrique du Sud ou d’Australie, des panneaux énoncent les dangers et les comportements à adopter. Il y a tous les ans des accidents, mais les usagers ont intégré cela et vivent avec.
Source : liberation.fr par ELIANE PATRIARCA